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24/09/2010

L’IROQUOIS ET L’INCONNUE DE RIBIERS

 

(à Bellebuzette de la part de Belzébuth)

 

On ne sait jamais où quand comment cela arrive à moins que ce ne soit comment quand où… ou…


Avec l’Iroquois, c’est une vieille histoire ; d’abord, était-il Iroquois ou bien appartenait-il à la tribu des Mohawks ou des Hurons ; nous ne le sûmes jamais, nous ne lui avions jamais demandé, c’était notre Indien à nous pas besoin de savoir ; par contre sa coiffure en « crête »  ou « coupe mohawk » cheveux rasés sur le côté nous intriguait ainsi que les quelques amulettes acrochées au ceinturon de son uniforme mais on n’a pas voulu questionner non plus.

Notre Iroquois avait débarqué en Normandie en 1944, incorporé dans une unité de l’armée canadienne qui libéra Caen le 9 juillet ; nous l’acceuillîmes en héros dans notre famille avec quelques autres soldats, canadiens français, cousins très bavards, alors que lui parlait rarement et seulement quelques mots d’anglais avec le capitaine. Ma mère, fille de militaire, avait l’occasion de jouer la cantinière du régiment, elle qui regrettait tant de n’avoir pu le faire en 14/18 car trop jeune. Nous ripaillîons avec les boites de singe et autres rations du régiment, les légumes du jardin qui disparurent à une vitesse phénoménale, avec les camemberts que nous allions chercher parfois sous la mitraille chez des fermiers voisins, avec les tartes que la cantinière fabriquait en chantant avec un plaisir visible. Les tablées étaient joyeuses, animées, les soirées amicales et festives, on peut dire agapes joyeuses avec parfois un côté nostalgique quand les soldats nous montraient les photos de leur famille, des épouses, des fiancées, des enfants…

Nous aurions été complètement heureux… si un groupe  de soldats allemands replié à quelques kilomètres dans une carrière n’avait installé une ou plusieurs roquette(s) qui nous distribuait généreusement et régulièrement quelques salves qui passaient en sifflant au-dessus de nos têtes avec une régularité inquiétante et en espérant pouvoir échapper à l’une d’elles. Le capitaine Grégoire estima qu’il fallait en finir et demanda un volontaire en désignant notre Iroquois qui était déjà partant et déjà prêt. Il dit quelques mots au capitaine qui demanda à mon père s’il pouvait avoir un verre d’eau-de-feu, il but une bonne moitié de la bouteille d’un trait. Il partit de suite, il était aux environs de 17 heures. Pendant trois jours ces fumiers de boches continuaient à nous asperger et on avait l’impression que la prochaine bordée ce serait pour nous…  dans la nuit du troisième jour, le silence nous inquiéta d’abord et si c’était pour mieux repartir et cette fois en plus fort… au matin du quatrième jour, le silence inhabituel interrogea mes parents, le capitaine eut un sourire qui en disait long ; au moment de se mettre à table, il y eut comme raffut parmi les soldats et notre Iroquois, toujours aussi digne mais paraissant plus décharné que jamais dans son uniforme poussiéreux et déchiré arriva, regarda mon père qui comprit immédiatement et ressortit la bouteille qu’il vida. Des yeux le capitaine Grégoire le sollicita et notre Iroquois fit le chiffre 3 avec sa main droite avec laquelle il fit semblant de se trancher la gorge. Il disparut au milieu des cris, des hourras et des larmes. Plus tard, nous apprenions par ses camarades qu’il avait reperé la roquette grâce au tracé des obus, localisé l’endroit dans la carrière de pierre, rampé pour y arriver en attendant la nuit, aperçu les trois soldats allemands qu’il avait égorgé un à un après avoir pratiqué des feintes autrement dit des ruses de Sioux bien qu’il fut Iroquois.

Quelques jours après, le bataillon devait partir suivre l’évolution du front. Après des adieux que l’on dit à juste titre déchirants tant d’amitiés s’étant affirmées, la troupe nous quitta avec force embrassades et promesses de s’écrire après la guerre ou de se revoir… A l’heure du dîner, ma mère appela mon frère plusieurs fois, je partis à sa recherche dans nos aires de jeux habituelles, pas de frère, personne ne l’avait vu depuis le départ de la troupe ; à la tombée de la nuit, une chenillette nous rapporta mon frère qui s’était introduit et caché dans un camion et voulait continuer la guerre avec eux ; je revois encore le visage énigmatique de notre Iroquois et enfin son sourire lorsqu’il embrassa notre maman en lui remettant son petit guerrier frétillant.

 C’est cette histoire que je racontais un soir à mes chers amis de Ribiers où j’aime tant me retouver tous les ans depuis maintenant une vingtaine d’années. Ribiers, petit village dans la vallée du Buech au sud-ouest du département des Hautes-Alpes à quelque kilomètres de Sisteron, sa belle fontaine au milieu de la place, les terrasses des cafés sous les arbres, son église paroissiale ancien prieuré de l’ordre de Cluny, son marché du mardi, le banc avec la causette des petites vieilles de plus en plus vieilles que je revoie avec plaisir et appréhension…

Le dimanche, un peu d’animation avec la sortie de la messe, beaucoup de personnes dites âgées, que des dames, cheveux gris blancs ou bleus, groupement, parlottes, échanges, un salut de ma part, des regards étonnés c’est qui ? vous le connaissez ? oui il vient souvent chez les ah oui… le rituel de la patisserie, aller au magasin, marcher du côté ombré de la route, des pas derrière moi, sur le trottoir opposé et ensoleillé, une silhouette qui me dépasse, fine, élancée, qui me sourit et me dit bonjour la première quand je me retourne, je la suis car elle marche plus vite que moi, j’apprécie son allure, son port, sa silhouette de jeune fille, sa coiffure et sa robe longue qui se balance, nous arrivons presque ensemble car j’ai accéléré mon pas, vous marchez plus vite que moi, elle semble amusée, après vous, nous entrons, elle passe sa commande et la boulangère lui demande des nouvelles de sa main gauche qui porte un gros pansement, c’est un panaris je demande bêtement non un problème de ligament ses yeux sembles pétiller malicieusement ou bien je crois qu’ils semblent pétiller ou peut-être même qu’ils pétillent plus qu’ils ne semblent, elle paie, ramasse ses achats, je commande les miens tandis qu’elle quitte la boulangerie, je paie rapidement, vite je sors, elle est là elle m’attend ou bien je crois qu’elle m’attend ou bien bon euh au revoir vous partez par ah bon moi par ici nous partons nous sommes partis chacun de notre côté et je reste comme un idiot, j’ai envie de me retourner, elle a peut-être aussi l’intention de se retourner peut-être même qu’elle se retourne et me voit partir et se dit quel imbécile ou je pense qu’elle me prend pour un imbécile ou peut-être qu’elle ne s’est pas retournée et ne pense à rien surtout pas à moi l’imbécile qui… j’aurais dû lui dire ah vous savez justement je suis chirurgien grand spécialiste des ligaments si vous venez me voir à Paris je pourrais vous soigner je vais vous donner mon numéro de téléphone au cas , ce sera vraiment avec plaisir… et je n’ai rien dit… je me trouve vraiment débile sous le soleil avec mes tropéziennes dans la main et quand enfin je me retourne je ne vois plus personne…

Je n’ai jamais revu notre fier et courageux Iroquois, je ne le reverrai jamais, qu’est-il devenu ?, depuis tout ce temps… mais l’année prochaine quand je vais revenir à Ribiers chez mes si chers amis, j’irai le dimanche chercher les gâteaux comme d’habitude à la sortie de la messe et peut-être reverrai-je alors mon inconnue, l’inconnue de Ribiers… en espérant qu’enfin cette fois m’enhardissant,  elle ne le soit plus.

 

©  Jacques Chesnel

 

 

 

19:17 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Grâce à Chimulus, je dcouvre ce blog....avec un très beau récit..Chapeau bas !
au plaisir de se lire sur nos différents blogs..
Bonne fin de diamnche

Écrit par : Le ch'timi | 26/09/2010

merci... votre blog est très riche également

Écrit par : J.Chesnel | 27/09/2010

Les commentaires sont fermés.