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25/06/2010

LE PARI DE JEANNE -6

LE PARI DE JEANNE (suite)

 

6/ Apollon


Cette femme l'inquiétait, elle semblait perdue, perdue dans un désert de pensées, dans l'immensité de ce petit jardin public, à quelques mètres de lui sur ce banc; il avait sursauté quand, sans la regarder franchement, il avait lu sur son visage une expression fugitive mais intense de douleur physique.

Apollon Traoré, prénommé ainsi par des parents l'ayant trouvé si beau à sa naissance qu'ils le comparèrent au dieu grec (ainsi que le leur avait dit le griot qui avait été professeur de lettres en France) avait vécu plus ou moins clandestinement au gré des petits boulots plus ou moins dégradants que des  sous-patrons condescendaient à lui donner comme une aumône. Dans cette banlieue, ballotté sans résidence fixe depuis son arrivée il ne se rappellait plus depuis quand, rien ne lui avait été épargné, sa force résidant maintenant dans l'oubli volontaire de ce passé récent, il était devenu un sans-abri, un paumé, un clochard comme on disait encore il y a peu, condamné à l'errance, sans ressources régulières, se contentant de donations diverses, argent, vêtements, repas, rendant quelques petits services à de rares personnes âgées compatissantes envers ce qu'elles nommaient le nègre, pensant repartir un jour au pays dans ce petit village à la limite du désert où l'attendent des parents sans espoir de le revoir un jour. Il avait essayé de s'introduire dans le milieu de la chanson, du spectacle, auprès de compatriotes célèbres, sans succès sans vraiment savoir pourquoi, son air détaché, comme absent, son filet de voix, quoi ?.

Depuis quelques jours, il fréquentait plus assidument ce square dans ce quartier tranquille, parlant avec les jardiniers, les aidant quelquefois Mamadou tu nous donnes un coup de main contre un sandwich ou une bière. Le soir; il rentrait au foyer de travailleurs pour un repas chaud et passer la nuit, accepté par le personnel surtout les femmes qui craquaient devant sa silhouette oh Apollon t'as pas encore de copine… moi, si tu veux, hé…

La femme se leva après avoir fouillé dans son sac, allait-elle partir maintenant ?. Le teint livide, le regard affolé, elle semblait hésiter à partir, devait-il aller vers elle pour l'aider, oui mais à quoi, comment, pourquoi, il flairait la détresse, l'égarement de cette femme d'un autre milieu que le sien, d'un autre univers. Désemparé, envahi par des questions se bousculant au portillon de son cerveau, Apollon fit un pas timide en direction de Jeanne qui, se rasseyant, portait un téléphone mobile à son oreille. Il stoppa son élan. Allait-il, fallait-il, intervenir ?. Il préféra s'éloigner, se retirer de son champ de visoin, qu'allait-elle penser de lui ?...

Il avait toujours rêvé de venir en France depuis que son père lui avait parlé de ce qu'il croyait un paradis, son père grand admirateur du siècle des lumières, étudiant à la

Sorbonne, ayant vécu les évènements de mai 68, l'occupation de l'Odéon, pris dans des rafles, menotté, insulté, battu, victime du racisme ambiant contre les arabes, bicots, ratons, bougnoules, bananias et autres nègros. Apollon avait donc quitté son village au bord du désert pour rejoindre un paradis vite transformé en enfer quotidien, délaissant aussi la promise, belle et chère amie d'enfance, autre déchirure ; il ne se plaignait cependant pas et n'avait nulle envie pour l'instant de retourner là-bas malgré les suppliques de sa mère dont il embrassait la photo tous les jours à son réveil, malgré son quotidien accablant, il ne pouvait expliquer pourquoi, une attente ?, un signe, un espoir ?...

Il avait eu une aventure amoureuse de quelques jours avec une dame plus âgée que lui, issue de la haute société comme on dit, la femme d'un avocat célèbre, rencontrée quelques mois avant sa mort, une femme qui avait ressenti, lui disait-elle, comme un appel vers quelqu'un d'autre, vers lui, elle s'était offerte spontanément, simplement, sans provocation, comme un cadeau qu'elle lui faisait autant qu'elle le faisait à elle-même, Virginie, un après-midi à l'hôtel elle s'était confiée brièvement à lui, une sorte de confession, elle lui avait avoué qu'elle n'avait jamais aimé quelqu'un aussi fort, jamais ressenti si impérativement ce besoin charnel et affectif, qu'elle avait joui pour la première fois de sa vie d'où sa surprise, mon premier orgasme Apollon mon premier tu comprends…

… il avait eu un geste de tendresse tandis qu'elle pleurait dans ses bras; il revoyait sa stupéfaction quand pour la première fois, dans cet hôtel où on acceptait les noirs, elle découvrit sa façon si tendre de lui faire l'amour et elle de lui répondre aussi passionnément, Virginie : faible, fière, femme, qui à la fin de leur dernière rencontre (elle entrait le lendemain à l'hôpital) lui offrit une montre dont elle avait bloqué les aiguilles à l'heure de leur dernier rendez-vous.

- tu penseras à moi tous les jours à cette heure-là

- je n'aurais pas besoin de votre montre pour cela

Il y pensait souvent… Il voyait à présent cette femme  téléphonant, son air inquiet, la panique sur son visage, elle se levait, semblait venir vers lui… Il revoyait Virginie, sa silhouette, ses attitudes, ses gestes… Une personne arrivait, une jeune fille semblait-il, qui se précipitait dans les bras de la femme dont la silhouette, les attitudes, les gestes, non, ce n'était pas possible… il s'éloigna de nouveau.

(à suivre)

14:22 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

mais où vas-tu chercher tout ça ! étonnant que la soupape n'ait pas sauté plus tôt ! c'est très distrayant et très drôle - je reconnais bien ton humour - mais tu connais mon faible, j'ai du mal à lire de longs textes sans paragraphes et un peu plus de ponctuation - mais c'est très bien - Bravo -

Écrit par : claudine | 22/07/2010

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