Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/06/2010

HÉCATE TOMBE

Je ne comprends pas toujours pas pourquoi mes parents m'avait affublé d'un prénom pareil, vous vous rendez compte, Hécate, divinité lunaire et infernale, la déesse aux trois têtes, moi qui maintenant a du mal à garder la mienne intacte après tant d'années ; j'avais eu beau leur demander le pourquoi du comment, je n'avais eu que des réponses évasives du genre le hasard ? mais ce n'est même pas au calendrier il n'y a pas de sainte Hécate alors ? réponses embarrassées, une lubie ?, un film ?, une lecture ?, elle n'est même pas citée par Homère dans l'Iliade et l'Odyssée, alors celle d'un roman de Pierre Jean Jouve racontant l'aventure de Catherine Crachat une actrice de cinéma, une connaissance plus approfondie sur la divinité protectrice ou celle de l'ombre et des morts, l'attirance pour une sorcière aux pouvoirs redoutables, l'attraction vers une magicienne, aucune de ces suppositions ne trouvait de réponse plausible, seulement un air gêné Maman tricotant encore plus vite l'interminable écharpe, Papa tirant encore plus fort sur sa bouffarde jamais éteinte, leure regards encore plus fuyants, mais enfin… silence radio, je n'avais jamais pu rien en tirer. Dans le village, on ne se souvenait que de mon prénom : hein ? Hécate qui ?, Hécate comment ? , Hécate c'est tout, t'es quitte !.

Lors de mes premières lointaines amours, mon prénom interrogeait et intriguait mes soupirants puis mes amants, l'un d'entre eux fit même des recherches dans la mythologie grecque et ne trouva rien d'intéressant à son avis, le mystère restait entier, j'en vins à l'oublier petit à petit. Puis je connus un musicien qui avait aussi un problème de prénom accolé à son nom, vous le connaissez, Justin Peticoup, mais ça faisait marrer tout le monde alors que Hécate tu t'éclates Hécate tu m'épates Hécate je t'attrape Hécatapulte Hécatastrophe Hécatéchisme Hécataleptique Hécatamaran Hécatogan Hécatégorique Hécatelescuisses Hécatwoman Hécatmandou Kitécate… j'avais parfois envie de flinguer tout le monde ; à seize ans un petit connard lâcha un jour Hécatombe devant tout le monde à la fête paroissiale, il a pas vu le coup de pied partir dans ses couilles et remonter jusque dans sa gorge qui saignait, il a mis du temps à s'en remettre, pas moi mais l'idée m'était venu : ça allait être leur fête, les choses sérieuses allaient donc pouvoir commencer, mes amoureux n'avaient qu'à bien se tenir.

Quand on a retrouvé Victor pendu dans la grange sous la haute poutre sans tabouret, personne n'a pensé à moi, quand on retrouvé Julien avec une fourche dans le bide, le Jacquot allongé décapité dans le fossé, Fernand avec une hache dans le dos, Augustin dans sa cambuse bouche, yeux cousus et oreilles tranchées, Bastien dans l'écluse sans ses attribus virils, le corps truffé de gros plomb de Robert le braconnier à l'orée du bois, l'abbé Gilles nu dans le confessionnal une étole serrée autour du cou,  mon préféré le Bernard plus beau qu'un dieu mais plus con qu'un balai massacré les bras en croix sur la belle pelouse de M. le comte qui s'égosillait les salauds les salauds, le petit Nicolas à la langue trop bien pendue le crâne défoncé profond, Riton le pompier affalé dans la cour de la caserne son gros zizi dans la bouche, un marinier de passage, Romain, enchaîné à la proue de sa péniche, Paulin le fils du boucher éventré avec ses propres couteaux, la Colette fille de la mercière toute recroquevillée et entravée de partout, Bernard le métayer comme piétiné par ses vaches pourtant si paisibles, Maurice le bavard éparpillé menu dans les arbres façon puzzle, Henri le cordonnier assassiné au tire-point façon Lacenaire, Germain le bûcheron homo enculé par un pieu le long de la clôture du cimetière, Michel écroulé sur son poêle à gaz ouvert sans feu, Gérard le droguiste le corps dévasté dans une cuve d'acide, Vincent le gentil petit commis-boulanger cramé dans le four à pain, Arsène le garagiste obèse coincé mort sous une auto le cric étant retombé sur lui comme par hasard… personne, personne n'a pensé à moi. Et pourtant tous mes gentils amoureux, amants, béguins, flirts, galants, et autres soupirants d'un jour aux plaisanteries douteuses s'étaient retrouvés dans ces situations pour le moins inconfortables…

Un jour à l'épicerie quelqu'un me trouva une petite mine, l'air plus fatigué que d'habitude : vous travaillez top mademoiselle Hécate, faudrait voir à vous reposer maintenant, ah vous avez lu les journaux et la télé régionale, la série continue dans le canton, les gendarmes ne trouvent rien, ça commence à jaser parce que tout le monde a peur et se demande si… il y a vraiment des malades j'vous jure, un tueur en série par chez nous, vous vous rendez compte, c'est pas concevable, ça va pas mademoiselle Hécate vous êtes toute pâle ce n'est rien heu je vais… elle n'a pas l'air bien notre préposée, ah la poste ! maintenant avec ces réformes faut toujours en faire plus pour  gagner moins, encore heureux qu'on l'a pas délocalisée comme c'est la mode qu'on peut plus toucher nos pensions chez nous.

 

P-S :

Quelques mois plus tard, un fait-divers fut relaté dans le journal local : en voulant nettoyer les carreaux de la lucarne de sa petite maison, la postière du village glisse de son échelle ; ne pouvant se retenir, mademoiselle Hécate tombe malencontreusement  et… décède sur le champ.

On retrouva dans le bonnet gauche de son soutien-gorge une liste impressionnante de prénoms masculins.

©  Jacques Chesnel




















19:40 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

Les commentaires sont fermés.