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05/02/2016

CLÉMENCE

 

 J’ai cru longtemps que c’était uniquement un mot, un joli mot plein de douceur phonique avant de savoir que c’était aussi un prénom quand nous sommes allés avec mes parents pour la première fois rencontrer ma grand-tante qui habitait dans un bourg du bocage normand. C’était une grande et forte femme toute en rondeurs ce qui changeait agréablement de la sécheresse hautaine de sa sœur ma grand-mère maternelle que je détestais sans le montrer bien sûr parce que alors la beigne partirait vite. Habillée d’un ample corsage surmonté d’une guipure et d’une vaste jupe qui effleurait le sol, Tante Clémence (à chaque fois que je prononce son prénom cela s’illumine à l’intérieur de moi) était d’une gentillesse que la dureté et pourquoi pas le dire la vacherie de sa sœur rendaient encore plus appréciable. Il faut bien avouer que du côté du paternel je n’étais pas gâté non plus, sa maman, petite, revêche et moche était d’une constante méchanceté à mon égard, dénonçant à mes parents les moindres petites bêtises que je m’empressais de faire rien que pour voir où cela pouvait aller… Un exemple : la soupe aux poireaux-pommes de terre que faisait ma maman dans les temps difficiles, elle mettait tout le poireau y compris l’extrémité immangeable des feuilles vertes que je repoussais sur le bord de l’assiette et alors avec son air de vieille sorcière elle raclait le bord et remettait le tout dans le fond tiens mon gars pour te faire grandir que j’avais des envies de meurtre le nombre de fois que je l’ai tuée… Pas besoin de faire un dessin ou d’y aller par quatre chemins, vous aurez compris que je vomissais mes grand-mères, que je n’ai eu pour elles aucune affection et je crois bien que c’était du réciproque, je n’ai aucun mais alors aucun souvenir de l’ombre d’un geste de tendresse ou l’adresse d’un petit mot gentil, un dragon et une cafteuse j’étais gâté, les Dupond & Dupont de la méchanceté j’étais servi… alors que Tante Clémence, que j’ai peu connu il est vrai, non seulement sentait bon sur elle les fleurs de son jardin mais ses yeux et ses gestes reflétaient la gentillesse et l’amour. Elle aimait me raconter des histoires que je buvais bouche bée, des histoires pour enfant et aussi concernant son mari qui était parti à la guerre de 14/18 quelques jours après son mariage et qui n’était pas revenu, tué le 13 novembre, deux jours après l’armistice, l’annonce n’étant pas parvenue dans un coin isolé où il croupissait depuis un mois ; elle l’avait revu pendant deux courtes permissions et me disait que c’était les plus beaux jours de sa vie. Du haut de mes huit ans bien que je sois petit j’envisageais de devenir son nouveau mari rien que pour faire plaisir à Clémence et embêter mes grand-mères, je ne connaissais pas encore le mot salope à cette époque mais je pensais fort à l’inventer et à l’appliquer à ces deux mégères, je ne pratiquais pas beaucoup le mot amour Clémence me paraissant la personne à qui ce mot magique revenait de droit…

Aujourd’hui, quelques décennies après, l’amour de ma vie ne se prénomme pas Clémence, je garde secret son prénom adoré qui chaque fois que je le prononce (souvent) me ramène (quelquefois) à ma grand-tante à sa gentillesse à son odeur de fleurs et à sa jupe longue sauf que l’amour de ma vie a une autre odeur, un autre parfum encore plus attirant et que sa jupe est nettement plus courte.

 

14:38 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

beau prénom... j'aurais aimé connaitre cette personne

Écrit par : Evelyne Dupré | 07/02/2016

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