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14/07/2015

PAS DE NOSTALGIE

                          

Lorsque la vague de la nostalgie déferla sur la plupart des camarades de bureau, Jérôme ne se senti pas concerné, ce n'était pas son genre de se retourner de cette manière, de chercher à retrouver des amis perdus de vue ou perdus tout court, les copains d'avant, les anciennes amours... Il entendait et écoutait poliment exclamations de joie ou de tristesse, gloussements, couinements, rires ou reniflements, c'est pas vrai il est encore là ce vieil André, putain ce qu'elle a grossi on dirait la Merkel, et lui maintenant avec la barbe et les cheveux longs, oh la robe à fleurs de Monique et ses socquettes blanches, merde il est mort il y a une semaine le pauvre à combien 78 c’est jeune, et cette photo de groupe à l'école de la rue Bicoquet c'était quand ?, oh les tronches c'est toi là à droite ?, et là le chapeau de traviole et là combien de lardons, six et elle qui ne voulait pas d'enfants, quoi ? notre Robert en soutane lui qui bouffait du curé même que le jour de la communion qu'il avait pris une torgnole, et lui qu’est devenu maire de son patelin il est passé physiquement de Gandhi à Pavarotti comme un paquet à la poste…

Chez les filles, autre tonalité, plus douce, avec beaucoup de mélancolie ou de vague à l’âme, de l’amertume aussi devant le temps qui passe si vite sans qu’on s’en aperçoive autrement que par ces photos retrouvées, ses souvenirs qui sautent aux yeux, ces retours dans le passé qu’on croit révolu délibérément ou non, des choses dont on ne se rappelle pas mais qui se rappellent à vous, tiens là, Brigitte quand elle a pris le voile, Lucette la mal mariée qui s’est jeter sous un train, Micheline et son fiancé algérien balancé dans la Seine, Adèle l’hôtesse de l’air sur le mauvais vol et le crash, Roberte et son homosexualité refoulée, les avortements répétés de la belle Nicole, tu les reconnais toutes sur ces clichés ?, demandait Muriel inquiète.

 Ce soir, rentrés du bureau, Jérôme et Muriel évoquent ces instants avec un petit sourire gêné, c’est un peu bête tout ça non ?,  Muriel dit attend et revient avec un gros classeur et fouille dans les photos mal rangées, j’ai trouvé regarde, c’est qui là ? c’est moi répond Jérôme, avec mon père à une manif’ pour la paix en heu je ne me souviens pas de la date exacte, je devais avoir quinze ans Papa était très fier on chantait fort on y croyait putain et… on s’est rencontrés ce soir-là dit Muriel, et il éclate en sanglot. Il y a des moments où on se demande si les photos, on a beau se croire blindé…

 

Jacques Chesnel

17:56 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Il est étrange que les photos "papier" nous fassent plus d'effet que les photos numériques : peut-être parce qu'on retrouve plus facilement leurs albums ?

La plongée dans les souvenirs en images est toujours une aventure... C'est un des moyens de s'apercevoir que le temps est un chronographe (des fois, on préfère ne pas regarder).

Écrit par : Dominique Hasselmann | 18/07/2015

https://www.youtube.com/watch?v=Gyq5LQniA9U
Joie !!!!
Votre dernier texte m'a fait relire "Le Temps retrouvé", ces pages où le narrateur revoyant ses amis vieillis médite sur l'inconciliable de ses souvenirs et de la réalité.

Écrit par : christiane | 20/07/2015

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