Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/01/2015

RENÉ

 

 - Allô, oui, Jérôme à l'appareil, bonjour… ah ! Elvire, comment allez-vous… un temps… je vais demander à Muriel… il appelle Muriel… c'est Elvire, elle nous invite demain à déjeuner c'est possible ?… allô, c'est d'accord pour demain, midi, pas de problème, on vous embrasse, oui, oui, à demain. Elle avait l'air mystérieusement excitée, dit Jérôme en raccrochant pensivement. 

- Aujourd'hui, je vous raconte toute ma vie, avec plein de photos, nous dit Elvire en servant l'apéritif, et je vous parle de René, surtout de lui, de lui avec moi.Nous nous sommes connus au début des années 60 au cours d'une réception chez des amis communs. J'avais remarquée ce beau jeune homme très entouré de femmes de tous âges alors que lui semblait plutôt intéressé par les garçons. Les commentaires allaient bon train mais je fus vite rassurée quand il m'invita à danser en me serrant et même se collant à moi d'une façon évidente, la tête me tournait, j'étais heureuse pour la première fois mais pas encore amoureuse. Amélie, ma meilleure amie-ennemie de l'époque, certainement jalouse, me dit un soir : tu sais, ton René, c'est un pédé. Ce qui restait de ciel me tombait sur la tête et prit plutôt le parti d'en rire : eh bien, ma vieille, on va voir ce qu'il en est manu militari… et il fallut me rendre à l'évidence, s'il me déclarait verbalement une flamme incandescente, s'il manifestait des transports intimes plutôt vigoureux, ce fut un désastre lors de notre première étreinte charnelle, comme il me le dit tendrement : mon corps ne suit pas totalement, bref, comme on dit maintenant : il ne pouvait pas bander, pas assez pour… était-ce cela qu'on appelle pédé ? 

Elvire se lève et revient s'asseoir avec un album de photo. C'est vrai qu'il était beau le René en pleine jeunesse, Muriel me dit plus tard, tu te souviens de l'acteur français Louis Jourdan dans Premier rendez-vous avec Danielle Darrieux, il était aussi beau.

Notre hôtesse reprend : - Nous eûmes de nombreux entretiens et d'explications avant notre mariage car malgré cet aveu d'impuissance sexuelle, j'avais accepté sa demande tellement j'étais folle de lui, il m'avoua qu'effectivement qu'il se sentait homosexuel mais m'assura qu'il n'avait jamais couché avec un homme, cela le rebutait, mon corps ne suit pas répétait-il. Il avait beaucoup consulté dans diverses spécialités, sans succès, mais il ne désespérait pas, je t'aime tellement, m'assurait-il.

Attendez, il faut que je déplace René qui s'énerve sur son perchoir, il sait qu'on parle de René, je l'entends à son bruissement de plumes.

- Elllvirrrre, jeute aiaiaiaiaimeueueu

Revenue, elle continue : - Nous nous sommes mariés une fois nos études terminées à Polytechnique, nous allâmes au Sénégal pour notre voyage de noces, René fut nommé à un poste important aux Ministère de la Culture en ce qui concerne les Musées de France, il était le plus jeune, et moi, je devins tout simplement aide-bibliothécaire par amour des livres. René était un bon mari et un mauvais amant qui n'arrivait pas à me combler sexuellement autrement que par des caresses dont il devint expert mais sans pénétration, je connus tout de même parfois des jouissances extrêmes et inédites pour moi. Je ne voulais pas prendre d'amant bien que très courtisée, j'avais pris la décision de rester vierge comme le fut Élisabeth Première d'Angleterre, celle qu'on appelait la Reine Vierge. Nous voyageâmes beaucoup à l'étranger, il me rendait heureuse aussi par les autres découvertes qu'il me procurait dans tous les domaines et nous commençâmes à acheter des œuvres d'art, à aller au concert fréquemment, à l'opéra et nous aimions principalement le jazz , quant à la lecture, nous devînmes spécialistes de James Joyce… quant à 51 ans, on lui découvrit un cancer des testicules, cette annonce nous parut pour le moins anachronique... cela fut très rapide, il mourut dans mes bras le jour de la saint René, autre parachronisme...mais comme disait Alice Coltrane après la mort de son époux, le grand John : « il est toujours là »… vous reprendrez bien une tasse de café et assez parlé de moi… 

Une fois rentrés, avant de s'endormir après cette merveilleuse journée , Muriel dit à Jérôme en le câlinant : et si on emmenait Elvire écouter René Urtreger après l'expo René Magritte ? Bon, elle doit avoir les disques de René Thomas et connaître Barjavel, Fallet et de Obaldia, la littérature c'est bien dans ses cordes...

 

Jacques Chesnel

 

14:03 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)