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18/11/2014

RÉVEILS

. Jean

Muriel se réveille en sursaut, regarde l'heure et dit putain c'est pas vrai 5 heures 10. Elle a pourtant bien dormi, paisiblement, sans rêve et sans cauchemar notamment celui récurrent où elle cherche désespérément sa voiture dans ce coin perdu où elle s'était fourvoyée  pour trouver une paire de chaussures vues sur le net. A ses côtés, Jérôme a le sommeil agité, il se retourne fréquemment, ce doit être cela qui l'a réveillée, il dort toujours sur le ventre malgré ses conseils quand ce n'est pas en chien de fusil, il marmonne, bave un peu, un sourire énigmatique et dit non Jean, pas du tout, non. Jean ? se demande Muriel, quel Jean, personne de nos amis ou connaissances ne porte ce prénom. Elle essaie de se calmer, de se rendormir, Jérôme gigote toujours un peu, elle le touche pour le calmer et il réveille avec un sourire. Bonjour mon chéri, ben dis donc tu étais bien nerveux cette nuit que s'est-il passé et Jérôme de répondre, rien, si, Jean !. Mais quel Jean, dit-elle agacée, Jérôme surpris de la question : Cocteau.

La veille au soir, ils avaient regardé sur une chaîne du câble L'éternel retour, film de Jean Delannoy tourné en 1943 sur un scénario de Jean Cocteau avec Jean Marais et Madeleine Sologne dans les rôles principaux et avaient été touchés par l'histoire et les acteurs avec une mention pour Yvonne de Bray (grande comédienne qu'il avait vue au théâtre) et le nain Piéral. Et alors ?. Alors, dit, Jérôme, on a discuté toute la nuit, il m'a dit qu'il aurait aimé réaliser le film lui-même, lui donner un côté plus poétique, plus incarné, par contre il ne tarissait pas d'éloges sur les interprètes, Marais bien sûr, mais surtout sur les femmes et Piéral qu'il avait découvert dans Les visiteurs du soir, il riait de ses blagues, de ses hâbleries disait-il, de sa complicité avec le chien Moulouk, de son air halluciné lorsqu'il verse le philtre d'amour, il admirait également le travail du décorateur Georges Wakhevitch, il me parla aussi de sa rencontre avec Radiguet, des commérages sur leur prétendue liaison, de l'opium, puis de ses projets, de sa passion pour le dessin, de son intérêt pour le mythe d'Orphée, il m'éblouissait en parlant avec ses mains, ses poignées de chemise retroussées sur les manches de son veston et son constant sourire illuminé, enfin bref, maintenant qu'on se connaît on doit se revoir tard dans la nuit...

. Madeleine

Quand le film repassa en multiples diffusions, elle décida de l'enregistrer car elle était fascinée par l'actrice principale, Madeleine Sologne. Elle appuyait souvent sur pause pour regarder attentivement son visage, sa démarche et surtout sa chevelure si naturellement blonde, comment tu la trouves, Jérôme ?.

Ce dimanche matin, c'est grasse matinée. Jean se réveille le premier, se frotte vigoureusement les yeux, regarde tendrement Muriel encore endormie, bon dieu qu'elle est mignonne toute chiffonnée de sommeil, il se lève, jette un œil à la fenêtre, merde il pleut encore et Muriel sourit énigmatiquement dans son sommeil avant de murmurer doucement comme pour s'excuser mais non Madeleine je crois que… et elle s'éveille en regardant son compagnon comme si elle voyait un fantôme qu'est-ce que ?… Jérôme heu, chéri eh bien…

- Tu as rêvé de Madeleine Sologne, c'est ça, demande-t-il

Elle se prélasse puis l'étreint, l'embrasse amoureusement, oui, qu'est-ce qu'on a pu se raconter, tu sais son nom d'actrice Sologne c'est parce qu'elle était née dans un petit village près de Romorantin, ses débuts de comédienne dans des rôles de gitanes parce qu'elle était brune naturellement, elle s'est teinte en blonde pour le rôle de Nathalie à la demande de Cocteau, on a parlé de la mode l'époque, de son goût pour les fringues, elle qui aurait aimé jouer le rôle principal dans le Falbalas de Jacques Becker, elle a beaucoup soutenu Jean Marais débutant souvent maladroit, elle n'aimait pas beaucoup Piéral qui lui n'aimait pas du tout les femmes, elle adorait Yvonne de Bray qu'elle avait vue au théâtre, Madeleine savait que les jeunes filles copiaient sa chevelure cette mèche tombante comme celle de Veronica Lake, elle avait conscience qu'elle était comme l'un des symboles d'une génération de filles sous l'occupation, puis après quelques rôles au cinéma elle entreprend une carrière au théâtre, on a peu picolé et on a joué avec Moulouk adorable qui la suivait partout, elle m'a embrassée quand elle est partie car le metteur en scène l'a appelée Madame Sologne... on se revoit quand tu veux Muriel, hein ? Oui, à bientôt Madeleine...

. Piéral

Il dort profondément, la bouche ouverte comme d'habitude et ronfle fort parfois à faire trembler les murs de sa chambre dans son appartement à Pigalle. Il a des rêves intermittents, des souvenirs de ses nombreux tournages sous la direction de grands cinéastes comme Marcel Carné ou Jean Cocteau dont il fut l'ami. Il revoit aussi tous ses moments qu'on dit de débauche et qu'il nomme de plaisirs variés, toutes ces partouzes à n'en plus finir, qui le laissait épuisé, vidé, les cuites au Claquesin lui qui avait été élevé à la confite hure de laid ; parfois revient un souvenir qui le fait rire encore comme ce jeu de demander à des âmes charitables de l'emmener faire pipi en se faisant passer pour un gamin à cause de son mètre vingt-trois mais avec un engin démesuré toujours vaillant, des bonnes sœurs horrifiées qui s'en vont en se signant, des gens qui le traitaient de pédale et lui qui leur courait après en hurlant connaaaards, hier soir encore... mais il aime bien cet instant touchant, cette rencontre entre Muriel et Jérôme si mignons hier à la sortie du cinéma en leur souhaitant un bon retour éternel tout en espérant bien les revoir dans un autre rêve.

 

Jacques Chesnel

01:35 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)