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07/07/2014

ERNEST

  J'ai rencontré Ernest en juillet 1957 à la Feria de Pamplona pour les fêtes de la San Fermin ; nous nous sommes trouvés par hasard côte à côte dans la rue principale du lâcher de taureaux à l'aube au moment des premiers cohetes ces pétards qui annoncent l'événement ; je fus d'abord impressionné par sa stature que je trouvais plus imposante que sur les photos et cette trogne ; il avait alors 58 ans une belle barbe blanche une bonne bedaine et déjà une bouteille à la main je ne me souviens pas de quoi. Les gens lui tapaient dans le dos hola Ernesto certains le hélant ho hombre ou l'appelant Roberto prénom du héros de son roman Pour qui sonne le glas sur la guerre d'Espagne. Au moment où tous ceux qui couraient devant les taureaux apparurent suivis par les animaux encadrés des cabestros Ernest s'agita et voulut grimper difficilement sur la barrière de protection, je le retins juste à temps avant qu'il saute me décochant une bourrade que je crus amicale.

 Elle l'était car l'après-midi sur la plaza pricinpale de Pamplona noire de monde à la terrasse des cafés il m'aperçut et me fit de grands signes de venir le rejoindre alors qu'il était en discussion avec des matadors célèbres à cette époque le grand Antonio Ordóñez les jeunes frères Gijón César et Curro ainsi que Antonio Barrero Morano plus connu sous le nom de Chamaco qui avait passé l'alternative l'année d'avant. Je n'étais pas peu fier de me trouver au milieu de ces vedettes qui me congratulaient comme l'ami du grand écrivain et qui me donnaient du Santiago à profusion en veux-tu en voilà hombre. Non loin de moi se trouvait également une jeune femme qui ressemblait fort à Maria l'héroïne du roman d'Ernest plus tard interprétée par Ingrid Bergman dans le film personnage dont j'étais tombé amoureux à la première lecture du livre puis de l'actrice dans le film.

Nous n'arrêtions pas de nous regarder l'air un peu génés dans ce tumulte de conversations multiples de musique de toutes les bandas des cris de la foule qui se dirigeait vers les arènes il était seize heures et nous nous regardions toujours jusqu'au moment de nous lever tous pour le début des corridas.

Je me souviens des taureaux de l'élevage de Victorino Martín de Chamaco le téméraire qui fut sensationnel, du triomphe d'Ordóñez deux oreilles et la queue j'étais une vedette dans la tribune d'honneur avec Ernest et les yeux de l'inconnue que la vie était belle… Je ne me souviens pas du tout de ma nuit suite à la corrida sinon le goût du vin qui coula abondament des pimientos qui brûlèrent délicieusement ma gorge de ma vaine recherche de la belle et…

Le lendemain, je retournais à l'encierro où un jeune anglais se fit prendre heureusement entre les cornes d'un mastodonte et qui s'effondra dans mes bras en me pissant dessus et dont je n'arrivais pas à me séparer Jack mon sauveur disait-il Jack Jack puis je retournais sur la plaza où Ernest toujours entouré semblait m'attendre hi Santiago como va camarada je te présente Luis Miguel Dominguin que tal ? la jeune femme arrivait et s'asseyait à une table proche j'oubliais Ernest Luis Chamaco tous les autres Pamplona je ne voyais que ses yeux qui semblaient me regarder me pénétrer me transpercer profondément je me représentais son corps ses seins ses cuisses et le triangle de soie blonde entre elles je me tortillais sur mon siège pour cacher mon érection je n'entendais plus rien je sentis un liquide chaud couler sur mon ventre entre mes jambes je ne savais plus où j'étais je crois bien que j'ai… oui… Au moment de partir vers les arènes, elle se leva vint vers moi et me dit à l'oreille ces mots dans un soupir : Thankyoufor makinglove with me… ah your dick… that was great !. A ce moment je ne sus quoi lui répondre, j'aurais dû lui dire que moi aussi je…

Les jours suivants elle n'était plus là, je ne la revis jamais. 

Quand je relis un livre d'Hemingway ce qui m'arrive souvent, je pense toujours à ce Santiago qui revoit encore cette belle inconnue et je me souviens de ses yeux de son regard de notre orgasme commun à distance… à Pamplona cette année-là avec les taureaux de Victorino Martín les faenas de Chamaco l'élégance de Luis Miguel… en compagnie d'Ernest de Roberto de Maria d'Ingrid de cette belle inconnue… qui ne m'ont jamais quitté depuis si longtemps. 

© Jacques Chesnel

16:27 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

DANS LE SILENCE

 

  Depuis quelque jours, Jérôme se sentait bizarre, on peut dire ça comme ça, bizarre égal pas bien, pas trop mal mais pas trop bien. Il n'avait vu personne de la journée à part la boulangère qui faisait la gueule comme tous les jours, pas qu'à lui non à tout le monde tout le temps. Dans l'après-midi, il décida de regarder un match de foot à la télé ; déjà le foot, pourquoi ?, voir des égos boursouflés en maillots tartignolles courir après la baballe et s'étreindre comme des tarlouses pendant des heures après avoir péniblement marqué un but et expliquer ensuite que voilà et puis heu voilà on a fait le maximum voilà le coche est content et puis voilà, cela le faisait gerber mais bon allez savoir pourquoi, il y avait bien autre chose d'aussi nul à la téloche ce dimanche après-midi là mais bon… quand arriva la plus grande peur de sa vie ; il avait coupé le son pour ne pas entendre les hurlements de trente mille abrutis et dans l'immense silence de son petit salon, une voix sépulcrale qu'il ne connaissait pas retentit "ceconaencoreloupésapasse" c'était la sienne bordel la sienne qui avait dit ce con a encore loupé sa passe, putain cela faisait un bail qu'il n'avait entendu SA VOIX sa VRAIE voix.

Depuis le départ de Muriel partie rejoindre un footballeur de renom après trente années de brouilles et réconciliations, de rabibochages et de bisbilles, de câlineries et d'insultes, se supporter, se chamailler, puis franchement se détester, il vivait seul supportant mal parfois cette solitude recherchée, pas de rapport avec ses cons de voisins, les amis partis avec ceux de Muriel, le petit chat mort le canari aussi. Donc, boulot, pas de métro, dodo, branlette hebdo et abdos pour l'hygiène et le fun, les courses le samedi matin puis la télé avec Heineken tout le ouikainde devant l'écran noir de ses nuits blanches et le cinoche une fois par mois les films de karaté et de cul. Sur le conseil d'un pote lointain qui l'avait conseillé sur sa santé au moment de l'approche de la cinquantaine, il avait passé un chèque-hold-up complet à l'hosto chéro pas remboursé alors que les affaires et les contrats se faisaient de plus en plus rares avec la crise qui n'en finissait pas surtout pour lui ; résultat des courses : non, rien, rien de rien, monsieur le patient impatient, vous avez tout bon, le cœur, les poumons, les reins, le foie, les yeux, les oreilles, le nez, la quéquette, TOUT BON, super cline, reparti pour un tour sur les chapeaux de roues, et ce con a encore loupé sa passe. Le foot c'était mieux avant, du temps de Kopa, Fontaine, Platini, Giresse et Laurent Blanc ses favoris, non seulement ils réussissaient toujours leurs passes mais ils savaient parler après les matchs pas pour dire des conneries heu hé ben voilà et puis le coche c'était quand même un entraîneur ah ! Michel Hidalgo et les équipes, Reims et St-Etienne. Quand on sonna à la porte, il ne bougea pas comme d'habitude, le téléphone c'est pas fait pour les chiens mais pour prévenir ; quand on frappa fort il pensa à un erreur, quand on tapa plus doucement il se leva pour regarder par le judas optique, il ne vit rien mais entendit qu'on grattait timidement. Il ouvrit, c'était Muriel presque à genoux et toute en pleurs avec sa petite mallette.

- Que veux-tu après tout ce temps, demanda-t-il

- Laisse-moi entrer tu veux, hoqueta-t-elle

- Si c'est pour s'engueuler, alors non

- Je t'espliquerai

Elle entra, il était perplexe.

- Voilà, j'ai quitté Robert

- Que veux-tu que ça me foute

- Je me suis aperçue que c'est un vrai connard

- Si tu le dis… moi, je le savais rien qu'à le regarder jouer

Elle s'assit devant la télé en tentant de sécher ces larmes que Jérôme trouva de crocodile.

- Tu regardes le foot toi maintenant, je croyais que

- Pas vraiment, principalement quand ya Robert

- Il ne joue plus à l'Inter de Milan, ils l'ont viré

- Je sais, c'était à prévoir vu ses résultats

- Et puis…

Jérôme s'assoit à côté d'elle sur le canapé, elle ne pleure presque plus, ils regardent un match tous les deux, la deuxième mi-temps, il remet le son, fort, dans le stade tout le monde est debout et hurle après un joueur, le brocarde, le conspue, le vilipende, le dénigre… Robert

- Ce con, il a encore loupé sa passe, dit alors une voix sépulcrale qui n'était pas la sienne.

 

© Jacques Chesnel

16:24 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)