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26/05/2014

DERRIÈRE LA PORTE



. Il referma la porte aussitôt, brutalement, avant qu’un pied ne vienne s’interposer. Il avait eu le temps de voir le visage. Celui qu’il ne voulait plus voir ; celui qu’il n’avait pas du tout envie de revoir…

. Jérôme regarda par la fenêtre la pluie qui commençait à tomber, drue. 

. Il avait eu le temps de s’apercevoir que, derrière le visage, il pleuvait, que le vent faisait trembler les grands saules du jardin.

. Jérôme remarqua qu’il n’y avait pas beaucoup de voitures sur le parking à cause du ouiquainde. 

. Il entendait un vague bruit de moteur, le visage était donc venu en auto.

. Jérôme, qui frissonna, se demanda dans quel genre de récit il s’était embarqué, sans plan précis. 

. Il sursauta aux trois coups secs qui résonnèrent derrière la porte « ouvre, ne fais pas l’idiot » dit le visage d’une voix étouffée.

. Jérôme pensa que l’automne arrivait vraiment trop vite. 

. Il tressaillit car maintenant ce sont des coups plus forts, certainement de pieds, trois également, « ouvre, imbécile ».

. Jérôme regarda le clavier de son ordinateur qu’il trouva soudain hostile et poussiéreux. 

. Il se tranquillisa quand les coups cessèrent, les pas semblaient s’éloigner.

. Jérôme pensa à prendre une tasse du thé vert qu’il avait acheté hier et qui l’apaisait si rapidement. 

. Il se dit qu’heureusement les volets étaient fermés parce que avec ce type on ne savait jamais.

. Jérôme, revenu de la cuisine après avoir bu lentement le breuvage, reprend le récit 

. Il pense que ce n’est pas dans ses habitudes de fuir.

. Jérôme pensa que c’est mal barré, faudrait mieux que j’arrête. 

. Il entend sonner le téléphone dans la chambre, ce doit être Muriel, à moins que.

. Jérôme regarde sa montre, vingt heures vingt. 

. Il entend la voix du visage « ne raccroche pas, écoute-moi, mais écoute-moi, nom de dieu ».

. Jérôme trouve bizarre que Muriel n’ait pas encore appelé.

. Il écoute cette voix qu’il reconnaît malgré le son déformé, il doit téléphoner de sa voiture, de son portable.

. Jérôme protège son peu de texte sur l’ordi et se lève. 

. Il trouve le débit plus posé, la voix plus claire « il faut absolument qu’on se voit, on ne peut pas régler cela par téléphone, ouvre-moi, je t’en prie, il le faut ».

. Jérôme compose un numéro, entend le timbre, c’est le répondeur « laissez votre message après le bip sonore » dit une voix féminine anonyme. 

. Il trouve la fin de phrase suppliante, comme plus conciliante, il a dit « je t’en prie, il le faut… »

. Jérôme n’a plus tellement envie de continuer, il devient nécessaire de remettre la suite à plus tard, stop. 

. Il écoute avec plus d’attention, la voix dit « je n’ai pas d’intentions agressives, Jean-Paul, arrête ta parano, nous devons parler d’homme à homme, il n’y a pas d’autre solution, crois-moi ».

. Jérôme trouve étonnant le silence de Muriel, elle devait appeler tous les soirs avait-elle dit. 

. Il fait un effort pour répondre « je ne suis pas parano, je te connais trop, tu n’as pas changé et ».

. Jérôme décide d’aller se coucher, le sommeil le gagne, ça ira mieux demain. 

. Il perçoit de l’agacement dans le ton « tu ne veux pas te rendre compte de la situation, cela ne peut plus durer, arrêtons cette hypocrisie ».

. Jérôme se déshabille lentement en regardant intensément la photo de Muriel avant de se mettre au lit. 

. Il entend comme un hoquet ou un pleur qui ne vient pas de la voix du visage.

. Jérôme a malgré tout du mal à s’endormir, le silence de sa femme l’inquiète, ce n’est pas dans ses habitudes. 

. Il y a quelqu’un à côté de lui dans l’automobile, il en est certain, ce sanglot ou ce hoquet.

. Jérôme se souvient du départ de Muriel, son regard gêné, fuyant, son embarras, « j’ai besoin de réfléchir, Jérôme, j’ai envie d’être seule quelque temps ». 

. Il croit vaguement entendre une conversation en sourdine comme si on avait éloigné le téléphone.

. Jérôme se retourne dans son lit, ne trouve pas le sommeil. 

. Il dit bêtement « allô allô je ».

. Jérôme dort maintenant, il rêve, revoit les jours heureux de son union, leur rencontre, le premier baiser, la première étreinte, le voyage à Biarritz, Muriel dans son maillot de bain, l’escapade à Zumaya et le regard admiratif des espagnols et… 

. Il écoute le silence ou sont-ce des bruits sourds dans l‘auto.

. Jérôme entend une sonnerie de téléphone, c’est dans mon rêve pense-t-il, il s’en amuse, il sourit. 

. Il perçoit comme un déplacement furtif, un frôlement de vêtements, puis une voix : Muriel « Jean-Paul, c’est moi, je suis avec lui, dé-fi-ni-ti-ve-ment, tu n’as pas voulu comprendre, on aurait pu s’expliquer de vive voix mais », il raccroche vivement, l’appareil tombe.

. Jérôme n’en peut plus de ce boucan, il se réveille, va vers le bigophone qui n’en finit pas avec tous ces drrrring « allô, Jérôme, c’est moi, Muriel, je voulais te dire, je suis avec Lucie, oui, pour-tou-jours, on aurait pu en débattre, mais tu… », il n’a pas la force de raccrocher… on frappe à la porte, fort. 

 

© Jacques Chesnel

 

19:25 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)