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01/08/2012

RISETTE MONK

                     

 On savait tous qu’en anglais son nom voulait dire MOINE mais personne ne savait pourquoi elle se prénommait Risette, on ne l’a jamais su, on n’osait pas lui demander il devait y avoir comme un secret personnel ou familial ou... On savait aussi qu’en réalité elle s’appelait Lemoine mais que par admiration pour le célèbre musicien de jazz prénommé Thelonious elle avait décidé de transformer son nom ainsi au grand dam de ses parents qui vénéraient Mozart et détestaient le bebop dont elle raffolait et possédait beaucoup de disques du compositeur et pianiste, presque tous ; en plus elle était née comme lui un dix octobre, alors vous pensez ; son grand regret était de ne pas l’avoir vu jouer.

 

 Quand nous allions chez elle avec ma sœur, nous entendions à l’approche de la maison les fenêtres grandes ouvertes La Flûte Enchantée au rez-de-chaussée et ‘Round Midnight au premier étage, le mélange nous plaisait bien, on riait si fort que les voisins avaient envie d’appeler la police comme pendant les grèves et manifs de l’année dernière. C’était toujours moi qui sonnait la première, privilège de l’âge, ça dévalait rapido dans l’escalier et Risette preum qu’elle disait, après les bisouilles on montait aussitôt dans sa chambre dont elle fermait la porte avec un v’lan définitif. Muriel demandait alors t’es sur qui toi maintenant ? dis c’est fini avec Pascal ? pasque tu sais dans le genre artichaut même qu’il paraît et moi je louchais sur les nombreuses photos de James Dean qu’était encore plus beau qu’avant, j’étais un peu jalouse bien que. Inévitablement, Muriel se mettait devant la glace et imitait Céline Dion dans pour que tu m’aimes encore mon mari Renééé oh tabernacle, moi je préférais quand Risette se prenait pour Emilie Loizeau, au moment où l’aigle noir de Barbara fonçait sur nous on pouffait à qui mieux-mieux heureusement que les toilettes n’étaient pas loin ; une fois, elle nous avait taquiné sur notre patronyme, Branlon c’est votre maman et Lagarde votre papa ou bien l’inverse ? on était pliées en quatre, deux chacune. Les parents tapaient au plafond c’est l’heure du goûter les filles on n’ allait pas couper au nutella pendant que le père se prenait pour Papa Guaino en braillant à tue-tête et en faux comme d‘habitude.

Nous l’avions connue au lycée, elle épatait toute la classe avec ses notes hors de prix et ses prix hors concours ainsi que son éternel sourire, peut-être était-ce pour cela, Risette alors que, nous l’apprîmes plus tard, elle avait Marie comme nom de baptême ; les garçons en était raides dingues comme ils disaient, elle avait une préférence pour notre frère Julien qui lui préférait les mecs à notre grand désespoir et au sien. Elle avait ses détestations, exemple si quelqu’un l’appelait Frisette à cause de ses cheveux désespérément raides même après une mise en plis ; ses colères étaient de courte durée, elle en riait de plus belle.

 

 Les grandes vacances nous séparèrent pendant un trop long mois ; au moment des retrouvailles ma sœur me dit tu ne trouves pas qu’elle a maigri on dirait. Son perpétuel sourire nous désarmait toujours autant alors raconte l’Espagne comment c’était et les espagnols olé ?. A la rentrée, au lycée elle manqua trois jours, puis le mois suivant une semaine entière. Nous allâmes aux nouvelles, ses parents nous avertirent qu’elle commençait un chimio et qu’elle ne voulait voir personne pour l’instant, pas même nous ?. Non, pas encore, elle est comme nous, sous le choc, mais c’est quoi au juste ? a-t-elle une chance ou quoi ? que se passe-t-il nous aimerions savoir, ils refermèrent la porte. Par la suite, à l’hôpital où elle était soignée, nous allions la voir tous les deux jours quelques minutes autorisées. Risette avait un moral qu’on dit de fer et faisait des projets pour la suite. On l’avait autorisée à écouter ses disques dans sa chambre et Thelonious ne se privait pas de jouer pour elle toute seule, ça lui plaisait. Les parents nous avaient enfin avoué qu’elle en avait  pour quelques semaines au plus selon le médecin. Dans sa chambre, lors des visite, on se retenait de pleurer devant elle de peur de la faire rire, les infirmières n’avaient jamais vu de patiente aussi gaie et toujours ce sourire tandis qu’elle partait lentement sur la pointe des pieds. Elle mourut en écoutant Misterioso à la même date que celle de son idole, un dix-sept février.

 

 Et dire qu’il y en a qui ne croient toujours pas aux concomitances, au hasard ou au destin. Cela doit bien la faire marrer notre Risette Monk à nous.

 

©  Jacques Chesnel

20:19 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (4)