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02/05/2011

ESTAFETTE

 

Il fallait quelqu’un pour porter rapidement la dépêche, le commandant avait dit c’est urgent, très urgent, je compte sur vous, ça devait vraiment être si urgent et important car au lieu de me tutoyer et de me regarder avec son mépris habituel il m’avait vouvoyé avec un certain sourire inhabituel. J’ai donc enfourché ma moto amochée mais encore vaillante et je suis parti aussitôt sur mon destrier pétaradant alors qu’au loin sifflaient les obus de plus belle si on peut dire ça comme ça.

J’avais reçu deux lettres cette semaine, une de mes parents, de Maman qui insistait une fois de plus pour que je fasse très attention car elle avait eu des nouvelles de copains à moi qui étaient morts durant le dernier assaut, fais attention mon Jérôme on attend ton retour on aura besoin de toi à la ferme, avec en plus un mot de Papa qui me rappelait que son père à lui avait été ordonnance d’un général lors de la première guerre, la dernière disait-il, qu’il fallait que je sois fier et courageux ; une de Monique, ma promise, avec des traces de rouge à lèvres partout sur la feuille devenue presque illisible mais je pouvais lire qu’elle m’aimait que c’était dur d’attendre si longtemps la prochaine permission, j’avais mis sa lettre sur mon cœur et je la relisais tous les soirs avant de trouver le sommeil. J’avais entendu dire que la fin de cette guerre, la nouvelle dernière, était proche à cause de toutes ces batailles qu’on avait gagnées et que l’ennemi, le dernier, allait bientôt capituler, enfin, et pourtant ça continuait de siffler bon dieu ça se rapprochait et moi, dans ma précipitation, qui avait oublié mon casque. Avant de partir en trombe Lucas et Émile, mes deux meilleurs copains de chambrée m’avaient dit en rigolant oh ! est-ce ta fête aujourd’hui l’estafette ?, on est le trente septembre mon vieux, j’avais souris, ce sera notre fête à tous bientôt vous verrez dis-je en enfourchant la bécane, je suis le héraut qui va porter les bonnes nouvelles à l’état-major à l’arrière de ces putains de tranchées, bordel et vrouououm.

Le lendemain, les copains apprirent par le lieutenant que Jérôme parti en trombe avait été retrouvé à quelques centaines de mètres lors du dernier bombardement, avec deux éclats d’obus dans sa tête sans casque. On le décora d’une médaille à titre posthume : «Soldat de première classe d’origine antillaise Jérôme Midon, estafette en mission, mort au champ d’honneur ce 30 septembre 1918 ».

 

© Jacques Chesnel

15:37 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

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