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11/06/2010

LE PARI DE JEANNE -5

 

LE PARI DE JEANNE (suite)

5/ Raoul

Raoul Robin, avocat réputé, grand orateur, fin bretteur, Bâtonnier de l'Ordre (RR ou Doublair pour les intimes ou les professionnels de la profession ou encore Double Blair pour d'autres, Robin des Bois pour le monde de la pègre) est le père de Jeanne, veuf depuis plus de dix ans de Virginie, une femme merveilleuse et tant aimée de tous, surtout de lui, veuf inconsolable et inconsolé. Petit, soignant méticuleusement mais vainement son alopécie, l'embonpoint seyant, affable, débonnaire, ne rechignant pas à raconter une bonne blague, faire un bon mot lors de banquets où il se tient mieux que bien à table, RR, amateur d'art, collectionneur, possèdant quelques Boucher, deux Goya et un Delacroix, pas d'art dit contemporain sauf un petit tableau de Nicolas de Stael acheté dans une brocante, grand lecteur détestant Proust et adulant Faulkner, aimant toute la musique classique mais allergique à Bach sauf interprété par Glenn Gould, n'avait pas accepté le mariage de sa fille avec Franck qu'il prenait pour un artiste de seconde zone, un parvenu que la communication complaisante et l'affairisme avait porté au pinacle (presse spécialisée, chaînes de télé) bref, un connard tout simplement, affirmait-il dans le privé. Il appréciait encore moins sa liaison avec ce Louis, cet homosexuel ayant trempé un temps dans des affaires de détournements de mineurs, un comble pour ce magistrat  sans reproches et bien-pensant qu'il prétendait être, à juste titre pensait-il. Lors du divorce de Jeanne, il avait œuvré pour que sa fille en sorte avec le maximum d'avantages financiers, la mettant ainsi à l'abri des intentions présumées malfaisantes de son gendre honni et des malversations présumées de son amant honni autant. Et voilà bientôt quatre mois que Robin des Bois n'avait plus de nouvelles, depuis qu'elle s'était entichée de ce Louis jusqu'à se mettre en ménage comme on disait naguère, il en fulminait...

Désemparé, un comble pour un homme comme lui, il ne savait que faire ni où se tourner pour demander avis ou conseil devant un cas inhabituel pour lui. Il tournait en rond dans sa carrée, fumait pipe sur pipe avec l'envie pressante de s'en faire tailler une pour l'hygiène, il avait des fourmis dans les mains tout en trépignant sottement, bref, il ne se reconnaissait plus, un comble, lui si calme, pondéré, maître de lui, quelque chose d'inconnu, une sorte de changement involontaire, allait-il devenir incontrôlable, le comble pour un con, pensait-il. Il appela son assistante ; lorsque Armelle entra, il avait déjà baissé son pantalon jusqu'au chevilles avant qu'elle s'agenouille.  Le téléphone se mit à sonner. "Nom d'une pipe", éructa-t-il en repoussant doucement Armelle et se rajustant vite fait.

C'etait Jeanne. Il avait du mal à reconnaître sa voix hésitante, hachée, saccadée, entrecoupée de sanglots, ce bruit non identifiable en arrière-plan, Papa je, quoi ? Papaaaa, coupure, rappel, Papa je ne sais pas je ne sais plus, j'arrive Jeanne où es-tu, je... terminé... plus rien. Doublair, affolé, s'aperçut qu'il n'avait plus son numéro de portable, elle avait appelé d'une cabine ? ou d'un café ?, celui où Vincent Lindon était barman ? il pensa rappeler Eric qu'il avait défendu quand, ado paumé, il avait été embarqué dans un braquage de banque avec prise d'otages, quel était le nom de ce café-bar-tabac, Armelle lui souffla Le Darrigade là où se réunissent les amateurs de vélo le dimanche matin. Raoul regarda la photo de Virginie sur son bureau, revit le visage de Jeanne identique à celle de la disparue, cette ressemblance trait pour trait, expression pour expression, caractère semblable, difficile parfois, exaspérant souvent, Jeanne, ma fille on ne se refait pas tu sais.

Il se souvenait de son enfance fut difficile, son adolecence pire, ses problèmes réels, supposés, inventés, ses engagements q'il ne comprenait pas, mais malgré tout cela, une fraîcheur, une générosité, une disponibilté, un élan vers les autres, ses contradictions, en un mot un amour de fille. Il pensa tout d'un coup à cette phrase de Faulkner lue et qu'il avait soulignée dans une de ses nouvelles on n'aime pas parce que mais malgré ; pas pour les qualités, mais malgré les défauts...

Oui, c'était cela avec Jeanne, il n'avait jamais su quoi faire et s'interrogeait, avait-il été un bon père, que lui reprochait-elle, comment le savoir, question qui l'obsédait, le passé dont on ne peut faire table rase et dont des faits qu'on croyait oubliés depuis si longtemps vous sautent à la figure, vous prennent à la gorge subitement. Et maintenant, tout de suite, que faire ?. Sans nouvelles depuis plus de trois mois calculait-il, se souvenant du dernier accrochage/décrochage/dérapage qui avait pu laisser des traces de part et d'autre, des séquelles irrémédiables, Raoul, entre deux préparations de plaidoirie envahissante, se décida à appeler sa fille sans grand espoir de réponse. Il récidiva plusieurs fois, toujours occupé, absence de réseau, laissez votre message, pfffuittt... il y a longtemps qu'il ne disait plus merde mais il le pensait, fort, merde et remerde.


...(à suivre)


01:06 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

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