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02/01/2010

LE DOS AU MUR

Après "face au mur", Julien se retrouve vingt après chez Totor le bistro qui a troqué son patronyme contre "le Café du Commerce" avec un nouveau patron, Gérard, grande gueule qui savait tout, connaîssait tout, comprenait tout et baisait tout. La télé a maintenant son écran plat avec plus de cent chaînes au compteur, le comptoir n'est plus moitié zinc moitié formica mais en marbre de chez carrare et toutes les serveuses qui se succèdent à la vitesse grand V sont blondes comme des présentatrices de ces journaux télévisés plus ou moins aux ordres du nouveau gouvernement godillot du nouveau président. Julien y vient par habitude depuis le temps mais pas pour la télé car il l'a chez lui dans son petit deux pièces genre HLM où il loge depuis le départ de Monique peu après la tombée du fameux mur. Il a vendu la ferme pour trois fois rien vu sa valeur, touche une retraite minable de cultivateur minable de la Pac minable, mange peu mais grossit quand même, se lave une fois par semaine sauf la tête puisqu'il n'a plus de cheveux ou presque. Il a des nouvelles de sa femme à chaque Noël, elle lui dit qu'elle va bien avec son amoureux allemand un maquignon qu'elle avait rencontré à la foire aux bestiaux du chef-lieu de canton. Julien a soixante-dix ans maintenant, n'a pas refait sa vie comme on dit, il a un chien, un berger belge, pour combler sa solitude et se promener même quand il pleut.

Ce jour-là, il a donc décidé de se retourner sur son passé le soir où il avait vu le fameux mur tomber dans le rade de Totor mort depuis espérant aussi revoir Marcel qu'il savait malade après un infractus qui l'avait diminué. Question santé, il n'avait pas à se plaindre, oh quelques rumatisses de saison, des pertes au profit du cœur mais rien d'alarmant car il avait encore toute sa tête à lui mais ne devait pas faire d'efforts dont il aurait eu tort de se priver.

Bon, à croire que ce soir tous les gens du village, ceusses qui sont restés, se sont donnés le mot sans un mot plus haut que l'autre à demi mot pour voir cette comme les morations car il y avait bien là bien une quinzaine d'hommes et deux femmes inconnues genre péri pas téticiennes que le Gérard n'avait jamais vu autant de monde d'un coup à part les jours d'enterrement.

- bon dieu de nom de nom de dieu, dit l'un, le plus âgé le plus vert aussi à cent balais, faut vraiment qu'il ya c'mur pour qu'on se rencontre tous dans ce gourbi de

- ben dame, c'est pas tous le jours qu'y en tombe un des murs alors faut fêter ça

- oh ! faut quand même dire que des murs y en a 'core partout, aboya le plus fûté, l'ancien postier qui ressemblait à Besancenot vieux, des murs de la honte qu'on les appelle, entre les juifs et les arabes, les ricains et les mex et pis avec cette foutue mondialisation le mur du fric quèque vous en faites, le mur de la parole, le mur du sexe, le mur des races, le mur du travail, le mur des arts, de la politique, du commerce, des armes... j'pourrais vous en dire encore plus si ça ne m'étouffait pas dans la gorge.

Julien, on le sait, avait souvent la bouche bée qu'il en oublia de la béer plus encore et dit :

- putain, et le mur des religions, vous vous rappelez les vitraux de l'église que...

- silence, dit Gérard en regardant la télé, c'est maintenant les discours avant les dominos que Lèche machin le polak va faire tomber.

Silence... bien que Gégé a remonté le son.

- c'est pas vrai, v'là que le Lèche y dit que c'est Jean-Paul numéro deux  qu'à fait tomber le mur, d'ici là que soit pas le p'tit Jésus, il est gonflé

- y paraît que la chandellière elle vient de l'air béat où elle a vécu toute sa jeunette

- voui, elle a fait un sacré bout de chemin et se nourrit bien vu sa taille, elle a rattrapé le temps perdu

- ah ! les allemands y bossent plus que nous, ça on peut le dire et puis la bière

- faudrait pas qu'ils reconstruisent un mur entre eux et nous quand même, manquerait plus que ça, dit le vieux Besancenot en toussant

- à ce moment-là, dit Julien, j'peux vous dire qu'avec les masses et les pioches qu'y me restent, j'irais leur casser leur mur moi comme pour les vitraux de l'église, tiens !.

- on ferme, dit Gérard.


© Jacques Chesnel  (Miscellanées)


 

 

12:30 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

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